
The Image in Early Cinema: Form and Material
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The Image in Early Cinema: Form and Material
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Overview
Product Details
ISBN-13: | 9780253034397 |
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Publisher: | Indiana University Press |
Publication date: | 03/22/2018 |
Series: | Early Cinema in Review: Proceedings of Domitor |
Pages: | 392 |
Product dimensions: | 5.90(w) x 8.90(h) x 0.60(d) |
Age Range: | 18 Years |
About the Author
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CHAPTER 1
La part picturale du tableau-style
Valentine Robert
L'esthétique de l'image dans le cinéma des premiers temps s'est vue donner le nom de «tableau style», que l'on pourrait traduire littéralement par «style-tableau» et qui fut officialisé par la «bible» des chercheurs de Domitor, The Encyclopedia of early cinema. La definition, détaillée par André Gaudreault, y décrit une esthétique «fondée sur l'unité d'action, d'espace et de temps, [et sur] une dynamique centripète du cadre». Si cette définition associe avant tout le tableau-style à la discontinuité du montage, dans A Companion to Early Cinema – que l'on pourrait appeler notre «Nouveau Testament» –, Rob King parle explicitement de «tableau style of framing». Et l'on a pu lire ailleurs, par exemple dans The British Cinematographer, «tableau style of staging». La notion qualifie donc le style visuel de l'image filmique originelle à tous niveaux (mise en scène, cadrage, montage). D'ailleurs, on trouve déjà la mention généralisée de «tableau style of filmmaking» dans le premier livre de Domitor – notre «Genèse»? Cette généralisation a passé par nombre d'autres de nos «textes sacrés», à commencer par les écrits fondateurs de la définition signés par Tom Gunning, Noël Burch et André Gaudreault, que Richard Abel a synthétisés dans la formule «tableau style of autonomous shot-scenes». Elle connaît une sorte d'aboutissement avec le Silent Cinema Reader et sa locution globalisante de «tableau style of early films» (mais cela ne me fera pas dire que le Silent Cinema Reader est un livre apocalyptique).
Si cette notion de tableau-style s'est imposée, c'est d'abord par sa validité historique, puisque ce terme français de «tableau» qu'on conserve intact en anglais, comme pour alléguer son caractère citationnel, était effectivement utilisé à l'époque pour décrire les premières images filmiques. «Dès le premier tableau, 'Le repas de bébé', toute la salle était conquise», dit l'un des premiers comptes-rendus du Cinématographe Lumière, qui n'a pas l'exclusivité terminologique: «Le Biographe est dès maintenant la grande attraction du jour. [...] Pendant vingt minutes, on assiste à une série de tableaux qui sont la vie même». Le terme s'applique même aux films qui ne sont pas projetés: «En introduisant dans une fente [du Kinétographe] une pièce de cinq cents, on voit aussitôt se développer toutes les phases d'un tableau animé». Bien sûr, «tableau» n'est pas le seul terme utilisé en français à l'époque – on parlait aussi de «vues animées», de «scènes», et déjà de «films». Mais l'appellation «tableau» se systématise avec l'avènement des films en plusieurs plans, où le mot vient désigner chaque prise de vue, que les catalogues numérotent pour parler de films «en 5/10/12 tableaux». En anglais, cette locution sera communément traduite par «scenes» ou par «pictures», mais on trouve parfois le mot «tableaux» intact, que ce soit chez les représentants anglophones de Pathé, Gaumont, ou Méliès.
Provenant d'autres champs culturels, le terme «tableau» rattache l'image cinématographique à d'autres images, d'autres esthétiques. Le mot structure les pièces de théâtre, et ne se limite pas aux images scéniques; il en est de même de celles projetées, puisqu'on désigne également les plaques de lanterne magique sous le nom de «tableaux de projection» ou «tableaux sur verre». Le terme s'utilise aussi dans l'édition de lithographies («tableaux en noir ou en couleur») et même pour les compositions presque vivantes des musées de cire. «Tableau» s'utilise donc partout, il est comme le nom même de l'intermédialité. Et il est plus précisément le nom d'un pictorialisme. Car fondamentalement, le mot tableau, en français, veut dire peinture. La peinture encadrée et accrochée au mur. En réalité, si le mot s'utilise au théâtre, c'est parce qu'il règne un modèle pictural dans la dramaturgie, parce que depuis Diderot, on contemple une scène comme une toile peinte. D'ailleurs, les «tableaux» théâtraux les plus parfaits selon Diderot sont ce qu'on appelait des tableaux vivants. C'est-à-dire des moments de mise en scène où les acteurs ne se limitent pas à créer un effet pictural, mais imitent précisément une peinture célèbre, parfois même en tenant la pose plusieurs secondes, voire plusieurs minutes. Le phénomène a été théorisé par l'historien du théâtre Martin Meisel sous le nom de «realization»:
'Realization' [...] had a precise technical sense when applied to certain theatrical tableaux based on well-known pictures, [it] was in itself the most fascinating of 'effects' on the nineteenth-century stage, where it meant both literal re-creation and translation into a more real, that is more vivid, visual, physically present medium.
Or, ces realizations trouveront un terrain d'expérimentation privilégié au cinéma – où d'ailleurs, en français, on parle précisément de «réalisation» pour désigner la création d'images filmiques. Meisel lui-même avait parlé de cinéma, qui, fondé sur le paradoxe entre l'image fixe et animée, semblait à ses yeux l'héritier tout désigné du tableau vivant. Mais l'état de la recherche en histoire du cinéma ne permit guère à Meisel de connaître d'autres tableaux vivants que ceux de Viridiana (Luis Buñuel, 1961) ou de MASH (Robert Altman, 1970), et il conclut que les citations picturales se concentraient dans ce cinéma pictorialiste postmoderne et n'étaient que «sporadiques dans les films antérieurs». Mais il n'en est rien, l'intuition de Meisel était juste. Le cinéma s'est réellement fait l'héritier du tableau vivant et a travaillé les realizations de manière non pas sporadique, mais primordiale.
Ce n'est pas un hasard, selon moi, si l'on parle de tableau-style pour désigner le cinéma des premiers temps. Le paradigme esthétique du tableau s'est concrètement réalisé dans des imitations picturales directes. Les chercheurs sont rares qui, comme Ian Christie, ont su ébaucher ce corpus pourtant très étendu, qui traverse tous les genres, des films bibliques aux films érotiques en passant par les films comiques et historiques. Ces tableaux vivants filmiques problématisent de manière déterminante la forme, la matérialité et l'intermédialité de l'image dans le cinéma des premiers temps. L'un des cas les plus emblématiques est tiré d'une peinture de Jean-Léon Gérôme, Un Duel après le bal (fig. 1.1a).
Il s'agit d'une scène de mort, qui pourrait paraître peu propice à une réanimation. Pourtant, en 1900, Pathé sort un film du même titre, Un Duel après le bal, dont l'enjeu est de réinscrire l'image fixe dans un mouvement gestuel et narratif. Le duel est d'abord reconstitué dans toute la vivacité de ses mouvements. Cela permet de vivre dans toute son intensité dramatique le moment où Pierrot est touché, et tombe dans les bras de ses témoins. Alors la composition picturale apparaît, les personnages se figent sous nos yeux et tiennent la pose plus de cinq secondes (fig. 1.1b). Le film semble s'arrêter. Mais le mouvement reprend et l'on assiste au déroulement dramatique de l'agonie et des lamentations, jusqu'à ce que Pierrot se soit définitivement écroulé à terre. Le film vient donc nous montrer l'avant et l'après du tableau, il redéploie la temporalité que la peinture de Gérôme condensait.
Le travail sur la temporalité est précisément l'une des caractéristiques majeures de la peinture de Gérôme. Au XIXe siècle, la temporalité de l'image artistique se définissait essentiellement par ce que Lessing avait nommé «l'instant prégnant»: c'est-à-dire un moment artistique idéal qui condensait l'action en en suggérant l'avant et l'après dans l'imagination du spectateur. Dominique Païni a cependant postulé que Gérôme avait rompu avec cette tradition pour développer une esthétique de «l'instant d'après», défini comme «un instant quelconque qui succède à ce qui aurait pu être idéal, ou prégnant». C'est-à-dire une sorte d'instantané photographique (voire photogrammatique) pris juste après l'instant prégnant. Dans cette peinture, Gérôme semble proposer un entre-deux de ces concepts. Certes, nous sommes après le moment fatidique. Pierrot a déjà été touché, il se meurt, le vainqueur a eu le temps de se retourner et de s'éloigner. Pourtant, il se joue bien ici un instant prégnant. La suggestion émotionnelle culmine dans ce tragique face-à-face avec la mort déguisé en comédie. De plus, Gérôme nous permet d'imaginer très précisément tout le déroulement de l'action par un subtil jeu d'indices: les deux épées, les pas dans la neige, les plumes tombées du costume de l'adversaire, la blessure ... C'est comme si nous pouvions voir le duel dans le vide ménagé au centre, qui est comme la matérialisation spatiale de l'ellipse temporelle. Gérôme travaille ainsi une temporalité spécifique, qu'on pourrait appeler «l'instant prégnant d'après», en un paradoxe qui semble presque appeler la reconstitution cinématographique.
Le film Pathé répond à cet appel en remettant les indices dans l'ordre. Il renchérit même par un ajout, puisqu'une femme qui n'était pas dans la peinture apparaît. Elle surgit du hors-champ, alors même que les deux adversaires de Pierrot sont en train de s'y engouffrer. Le film fait donc éclater le cadre de la peinture. Malgré leur pictorialisme et leur dynamique de tableau centripète, ces premiers films mettent déjà en place quelque chose de la tension théorique qu'a instituée André Bazin entre le cadre et le cache, c'est-à-dire entre un espace pictural clos, et un espace filmique ouvert sur un hors-champ. Mais cette femme à la gestuelle frénétique ne brise pas seulement le cadre; elle vient surtout rompre la pose et remettre le tableau en mouvement, puisque ce film Pathé dramatise bel et bien un arrêt sur image. Le film fait voir et reconnaître l'image fixe. Il transgresse les lois du médium cinématographique pour matérialiser sa filiation picturale, qui est d'ailleurs proclamée dans le descriptif du catalogue:
Cette scène prise en temps de neige dans un décor naturel est la reproduction exacte du tableau de Gérome qui figure dans la galerie du château de Chantilly.
Le film fait donc explicitement référence à la peinture originale en citant son auteur et en spécifiant même son lieu d'exposition. Il est toutefois peu probable que l'équipe Pathé ait jamais mis les pieds à Chantilly. Le film ne s'inspire assurément pas directement de la toile originale: il est pris dans l'engrenage de ses reproductions. L'oeuvre de Jean-Léon Gérôme est emblématique de «l'ère de la reproductibilité technique» de Walter Benjamin. Il est l'un des peintres qui ont le mieux exploité le contexte commercial et industriel de l'art du XIXe siècle. Allié à Goupil, le plus grand marchand et éditeur d'art de son temps, Gérôme développe un style pictural basé sur la ligne et le réalisme presque photographique, qui permet à ses toiles d'être parfaitement reproductibles mécaniquement. Cela indignait au plus haut point Émile Zola:
M. Gérome travaille pour la maison Goupil, il fait un tableau pour que ce tableau soit reproduit par la photographie et la gravure et se vende à des milliers d'exemplaires. Ici, le sujet est tout, la peinture n'est rien: la reproduction vaut mieux que l'oeuvre.
Qu'on partage ou non le mépris de Zola, on doit constater que la stratégie industrielle de Gérôme – qui lui a valu l'étiquette précinématographique de «producteurréalisateur d'images» – paie. Un Duel après le bal connaît une reproduction par «cascades d'images», qui en font «l'un des tableaux les plus reproduits de son temps». Gérôme met en oeuvre toutes les techniques (lithographie, eau-forte, photographie, photogravure), tous les formats (des planches à l'échelle aux cartes postales), toutes les nuances (noir-blanc, brun, pierre de teinte, coloris), et tous les prix (des reproductions les plus luxueuses recherchées par la haute société aux séries industrielles distribuées en masse). Pendant plus de 30 ans, les reproductions sont incessamment relancées et imprègnent durablement l'imaginaire collectif. Lorsque Martin Scorsese, dans The Age of Innocence (1993), fait entrer son héros dans le salon d'un connaisseur, sa caméra fait un détour ostensible pour afficher en gros plan la pièce incontournable: Un Duel après le bal.
Mais la répétition du tableau n'est pas le seul fait de la reproductibilité technique. L'historien d'art Stephen Bann a en effet prolongé les réflexions de Walter Benjamin en montrant que le XIXe siècle marqua l'avènement d'une «ère de la reproduction» au sens large, tant manuelle que mécanique. Eik Kahng a même postulé que cette période vit l'émergence d'une véritable «esthétique de la répétition», où l'image était pensée dans la déclinaison, la transposition, l'appropriation. Un Duel après le bal en est exemplaire au point qu'il existe plusieurs originaux: Gérôme lui-même a recréé sa toile. Il a produit trois versions de taille différente, qui varient la visibilité de l'arrière-plan et la silhouette de l'adversaire. Cette nouvelle conception du tableau donne tout son sens à la reprise de Pathé, qui s'en sert donc comme d'un tableau fait pour être reproduit, copié, adapté, et plus précisément «réalisé» en tableau vivant.
La composition avait fait l'objet de nombreuses réincarnations sur scène avant d'être réinterprétée à l'écran. Deux ans à peine après l'exposition du tableau au Salon, on annonçait à Paris la représentation du Duel de Pierrot de Bridault et Legrand, pièce mimique «d'un nouveau genre», «tirée du fameux tableau de Gérôme». Ce tableau vivant fait école. On le retrouve à la fin de pièces comme Fanfan la Tulipe et il reste le clou de pièces dramatiques comme le Duel de Pierrot de Gustave Haller [alias George-Achille Fould] en 1881. Il fait aussi l'objet de tableaux vivants autonomes comme celui qui émerveilla Madison Square Garden en 1893: «parfait dans [son] absolue quiétude», la reconstitution du Duel se distinguait de la série en produisant «un effet douloureusement réel et cependant profondément pictural». On retrouve également le tableau de Gérôme dans des pantomimes comiques, acrobatiques ou «à grand spectacle». Enfin, il est aussi joué dans les revues, par exemple dans Paris-Crinoline qui, moins d'un an après son exposition au Salon, présente sans doute le premier tableau vivant du Duel après le bal. L'incomparable destin scénique de cette peinture de Gérôme a d'ailleurs été prédit d'emblée par Nadar, qui la caricature comme un «théâtre de guignol». Il devine dans la toile une sorte de tableau vivant prêt à l'emploi, fait pour être transposé dans un cadre scénique. Et la destinée de ce tableau vivant ne s'arrêtera pas au rideau, mais accèdera à l'écran.
(Continues…)
Excerpted from "The Image in Early Cinema"
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