Chacune son Rêve
Novembre 1905.
Je vais écrire ces choses. Je ne puis pas faire autrement. Le secret professionnel m'interdit de les révéler à qui que ce soit au monde. Mais ce que j'ai vu, ce que j'ai entendu, ce que j'ai accompli, la responsabilité que j'assume,—tout cela compose un fardeau trop lourd pour ma conscience, pour mon cœur.
Je ne suis qu'une jeune fille, isolée, désarmée, intimidée devant la vie, malgré le titre de docteur en médecine que je viens de conquérir.
Oh! oui... intimidée devant la vie. Combien je la trouve impénétrable, déconcertante, quand je la vois s'entr'ouvrir sur des abîmes de passion, de mystère, de douleur,—peut-être de scélératesse et de crime, comme ce qui m'en est apparu, pour s'effacer aussitôt et à jamais devant moi. Combien elle me sera 2 difficile à vivre, avec la charge redoutable que j'ai assumée!
Il y a quelques jours à peine, j'étais encore presque insouciante, malgré la gravité de mon destin. Ma situation d'orpheline, ma pauvreté, mes études ardues, sans distractions, sans loisirs, sans joie, n'avaient abattu en moi ni le courage, ni l'espérance. Je touchais au but. Ce titre de docteur, à vingt-quatre ans, comme j'en étais fière!... Avec ma volonté forte, dont j'éprouvais la vigueur, ainsi qu'un champion qui fait plier et vibrer la lame de son fleuret avant l'assaut, je ne doutais pas de l'avenir, je ne doutais pas du succès, je ne doutais pas du bonheur.
Mais aujourd'hui!...
Quoi! si vite... En quelques jours... Que dis-je?... en quelques heures... tout s'est assombri, transformé. Quel drame ai-je traversé? Qu'ai-je fait? Mon cœur se crispe. Une angoisse l'étreint.
Alors, moi qui me sens faible, pour la première fois, à cause du poids écrasant tombé soudain sur mes épaules,—moi qui n'ai personne pour m'aider à le porter, ni mère, ni amie, ni confidente, ni fiancé, moi qui, d'ailleurs, ne voudrais en faire partager le péril à nul être au monde, je prends, cette nuit, dans le silence, un feuillet blanc, que je place sous ma lampe, et qui recevra la tragique confidence.
Aussi bien, ne faut-il pas que tous les détails, jusqu'aux plus insignifiants, subsistent quelque part, impérissables? Ma mémoire peut faiblir... Et si je 3 disparaissais brusquement!... Fixons ici une trace de cette aventure, qui, autrement, finirait par m'apparaître inconsistante et invraisemblable comme un rêve. Je me le dois à moi-même. Et je le dois aussi à ce petit infortuné, qui, plus tard, ne possédera pas de trésor plus précieux que mon témoignage.
Ce document, je lui trouverai bien une cachette assez sûre pour qu'on ne l'y découvre point, moi vivante, assez accessible pour qu'il n'y reste pas scellé à jamais, si je meurs sans avoir pu en disposer.
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Je vais écrire ces choses. Je ne puis pas faire autrement. Le secret professionnel m'interdit de les révéler à qui que ce soit au monde. Mais ce que j'ai vu, ce que j'ai entendu, ce que j'ai accompli, la responsabilité que j'assume,—tout cela compose un fardeau trop lourd pour ma conscience, pour mon cœur.
Je ne suis qu'une jeune fille, isolée, désarmée, intimidée devant la vie, malgré le titre de docteur en médecine que je viens de conquérir.
Oh! oui... intimidée devant la vie. Combien je la trouve impénétrable, déconcertante, quand je la vois s'entr'ouvrir sur des abîmes de passion, de mystère, de douleur,—peut-être de scélératesse et de crime, comme ce qui m'en est apparu, pour s'effacer aussitôt et à jamais devant moi. Combien elle me sera 2 difficile à vivre, avec la charge redoutable que j'ai assumée!
Il y a quelques jours à peine, j'étais encore presque insouciante, malgré la gravité de mon destin. Ma situation d'orpheline, ma pauvreté, mes études ardues, sans distractions, sans loisirs, sans joie, n'avaient abattu en moi ni le courage, ni l'espérance. Je touchais au but. Ce titre de docteur, à vingt-quatre ans, comme j'en étais fière!... Avec ma volonté forte, dont j'éprouvais la vigueur, ainsi qu'un champion qui fait plier et vibrer la lame de son fleuret avant l'assaut, je ne doutais pas de l'avenir, je ne doutais pas du succès, je ne doutais pas du bonheur.
Mais aujourd'hui!...
Quoi! si vite... En quelques jours... Que dis-je?... en quelques heures... tout s'est assombri, transformé. Quel drame ai-je traversé? Qu'ai-je fait? Mon cœur se crispe. Une angoisse l'étreint.
Alors, moi qui me sens faible, pour la première fois, à cause du poids écrasant tombé soudain sur mes épaules,—moi qui n'ai personne pour m'aider à le porter, ni mère, ni amie, ni confidente, ni fiancé, moi qui, d'ailleurs, ne voudrais en faire partager le péril à nul être au monde, je prends, cette nuit, dans le silence, un feuillet blanc, que je place sous ma lampe, et qui recevra la tragique confidence.
Aussi bien, ne faut-il pas que tous les détails, jusqu'aux plus insignifiants, subsistent quelque part, impérissables? Ma mémoire peut faiblir... Et si je 3 disparaissais brusquement!... Fixons ici une trace de cette aventure, qui, autrement, finirait par m'apparaître inconsistante et invraisemblable comme un rêve. Je me le dois à moi-même. Et je le dois aussi à ce petit infortuné, qui, plus tard, ne possédera pas de trésor plus précieux que mon témoignage.
Ce document, je lui trouverai bien une cachette assez sûre pour qu'on ne l'y découvre point, moi vivante, assez accessible pour qu'il n'y reste pas scellé à jamais, si je meurs sans avoir pu en disposer.
Chacune son Rêve
Novembre 1905.
Je vais écrire ces choses. Je ne puis pas faire autrement. Le secret professionnel m'interdit de les révéler à qui que ce soit au monde. Mais ce que j'ai vu, ce que j'ai entendu, ce que j'ai accompli, la responsabilité que j'assume,—tout cela compose un fardeau trop lourd pour ma conscience, pour mon cœur.
Je ne suis qu'une jeune fille, isolée, désarmée, intimidée devant la vie, malgré le titre de docteur en médecine que je viens de conquérir.
Oh! oui... intimidée devant la vie. Combien je la trouve impénétrable, déconcertante, quand je la vois s'entr'ouvrir sur des abîmes de passion, de mystère, de douleur,—peut-être de scélératesse et de crime, comme ce qui m'en est apparu, pour s'effacer aussitôt et à jamais devant moi. Combien elle me sera 2 difficile à vivre, avec la charge redoutable que j'ai assumée!
Il y a quelques jours à peine, j'étais encore presque insouciante, malgré la gravité de mon destin. Ma situation d'orpheline, ma pauvreté, mes études ardues, sans distractions, sans loisirs, sans joie, n'avaient abattu en moi ni le courage, ni l'espérance. Je touchais au but. Ce titre de docteur, à vingt-quatre ans, comme j'en étais fière!... Avec ma volonté forte, dont j'éprouvais la vigueur, ainsi qu'un champion qui fait plier et vibrer la lame de son fleuret avant l'assaut, je ne doutais pas de l'avenir, je ne doutais pas du succès, je ne doutais pas du bonheur.
Mais aujourd'hui!...
Quoi! si vite... En quelques jours... Que dis-je?... en quelques heures... tout s'est assombri, transformé. Quel drame ai-je traversé? Qu'ai-je fait? Mon cœur se crispe. Une angoisse l'étreint.
Alors, moi qui me sens faible, pour la première fois, à cause du poids écrasant tombé soudain sur mes épaules,—moi qui n'ai personne pour m'aider à le porter, ni mère, ni amie, ni confidente, ni fiancé, moi qui, d'ailleurs, ne voudrais en faire partager le péril à nul être au monde, je prends, cette nuit, dans le silence, un feuillet blanc, que je place sous ma lampe, et qui recevra la tragique confidence.
Aussi bien, ne faut-il pas que tous les détails, jusqu'aux plus insignifiants, subsistent quelque part, impérissables? Ma mémoire peut faiblir... Et si je 3 disparaissais brusquement!... Fixons ici une trace de cette aventure, qui, autrement, finirait par m'apparaître inconsistante et invraisemblable comme un rêve. Je me le dois à moi-même. Et je le dois aussi à ce petit infortuné, qui, plus tard, ne possédera pas de trésor plus précieux que mon témoignage.
Ce document, je lui trouverai bien une cachette assez sûre pour qu'on ne l'y découvre point, moi vivante, assez accessible pour qu'il n'y reste pas scellé à jamais, si je meurs sans avoir pu en disposer.
Je vais écrire ces choses. Je ne puis pas faire autrement. Le secret professionnel m'interdit de les révéler à qui que ce soit au monde. Mais ce que j'ai vu, ce que j'ai entendu, ce que j'ai accompli, la responsabilité que j'assume,—tout cela compose un fardeau trop lourd pour ma conscience, pour mon cœur.
Je ne suis qu'une jeune fille, isolée, désarmée, intimidée devant la vie, malgré le titre de docteur en médecine que je viens de conquérir.
Oh! oui... intimidée devant la vie. Combien je la trouve impénétrable, déconcertante, quand je la vois s'entr'ouvrir sur des abîmes de passion, de mystère, de douleur,—peut-être de scélératesse et de crime, comme ce qui m'en est apparu, pour s'effacer aussitôt et à jamais devant moi. Combien elle me sera 2 difficile à vivre, avec la charge redoutable que j'ai assumée!
Il y a quelques jours à peine, j'étais encore presque insouciante, malgré la gravité de mon destin. Ma situation d'orpheline, ma pauvreté, mes études ardues, sans distractions, sans loisirs, sans joie, n'avaient abattu en moi ni le courage, ni l'espérance. Je touchais au but. Ce titre de docteur, à vingt-quatre ans, comme j'en étais fière!... Avec ma volonté forte, dont j'éprouvais la vigueur, ainsi qu'un champion qui fait plier et vibrer la lame de son fleuret avant l'assaut, je ne doutais pas de l'avenir, je ne doutais pas du succès, je ne doutais pas du bonheur.
Mais aujourd'hui!...
Quoi! si vite... En quelques jours... Que dis-je?... en quelques heures... tout s'est assombri, transformé. Quel drame ai-je traversé? Qu'ai-je fait? Mon cœur se crispe. Une angoisse l'étreint.
Alors, moi qui me sens faible, pour la première fois, à cause du poids écrasant tombé soudain sur mes épaules,—moi qui n'ai personne pour m'aider à le porter, ni mère, ni amie, ni confidente, ni fiancé, moi qui, d'ailleurs, ne voudrais en faire partager le péril à nul être au monde, je prends, cette nuit, dans le silence, un feuillet blanc, que je place sous ma lampe, et qui recevra la tragique confidence.
Aussi bien, ne faut-il pas que tous les détails, jusqu'aux plus insignifiants, subsistent quelque part, impérissables? Ma mémoire peut faiblir... Et si je 3 disparaissais brusquement!... Fixons ici une trace de cette aventure, qui, autrement, finirait par m'apparaître inconsistante et invraisemblable comme un rêve. Je me le dois à moi-même. Et je le dois aussi à ce petit infortuné, qui, plus tard, ne possédera pas de trésor plus précieux que mon témoignage.
Ce document, je lui trouverai bien une cachette assez sûre pour qu'on ne l'y découvre point, moi vivante, assez accessible pour qu'il n'y reste pas scellé à jamais, si je meurs sans avoir pu en disposer.
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Product Details
| BN ID: | 2940148170228 |
|---|---|
| Publisher: | Lost Leaf Publications |
| Publication date: | 01/28/2014 |
| Sold by: | Barnes & Noble |
| Format: | eBook |
| File size: | 350 KB |
| Language: | French |
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